Comment prouver qu’un document ne contenant que 31 lettres et constitué de 3 phrases uniquement est un faux document ?
Ça paraît impossible, pourtant vous allez voir qu’il n’en faut pas beaucoup pour que les faussaires se prennent les pieds dans le tapis …
(La transcription de l’audio en texte est disponible plus bas)
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🟠 L’épisode :
00:00 ⇒ Introduction de l’épisode
00:36 ⇒ Eléments essentiels pour comprendre le contexte de l’analyse
02:57 ⇒ Les résultats de l’analyse
12:31 ⇒ Rejoignez-moi sur la Newsletter du site
13:15 ⇒ Le prochain épisode : Analyse de la lettre : étude des types des champs lexicaux
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🟠 Je suis Coraline Hausenblas, psychomotricienne Diplômée d’Etat et auteure.
Passionnée par les notions de communication et de relation, je travaille depuis plusieurs années sur les communications manipulatoires.
Je suis aujourd’hui spécialisée en analyse de documents écrits.
🟠 J’ai publié en mars 2022 une analyse d’écriture complète et chiffrée pour prouver que la « lettre du Titanic » est un faux document historique
Vous pouvez télécharger l’analyse scientifique complète
🟠 Transcription de l’épisode :
Quelques éléments essentiels pour comprendre le contexte
On se retrouve aujourd’hui pour le deuxième épisode consacré à l’analyse de la « fausse lettre du Titanic ».
Après avoir vu l’introduction la semaine dernière, on va rentré dans le vif du sujet aujourd’hui et explorer le travail effectué sur les graphies des lettres, c’est à dire sur le type d’écriture des lettres.
Il faut tout d’abord préciser un fait essentiel : au début du XXème siècle, l’enseignement de l’écriture au sein de l’école française est basée sur l’écriture cursive exclusive.
Ce type de graphie possède des caractéristiques qui permettent de la différencier des autres. Composées d’une succession de traits et de boucles, les lettres présentent une petite queue finale qui permettent de les lier entre elles au sein d’un même mot.
Ces éléments étant posés, l’ étude s’est attachée à montrer que si le document attribué à Mathilde Lefebvre a été composée en 1912 par une enfant de presque 13 ans, nous devrions retrouver les éléments qui caractérisent la maîtrise de l’écriture manuscrite cursive exclusive selon les normes et standards scolaires de l’époque.
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Les résultats de l’analyse sur les graphies des lettres alphabétiques
Je vais vous présenter maintenant les conclusions de l’analyse des graphies.
Pour avoir l’ensemble du protocole et comprendre comment ces conclusions ont été possibles, je vous encourage vivement à télécharger l’analyse complète disponible gratuitement sur ce site.
Selon les résultats de l’analyse des lettres, nous pouvons conclure que :
– Le texte présente trois types de graphie : cursive (Cu), scripte (Sc), personnelle (Per).
– Quatre lettres sont écrites exclusivement en cursive (l, m, s, u). Les autres lettres du texte présentent des variations de graphie. On observe la présence de types de graphie souvent combinées : Cu+Per (a, d, r); Cu+Sc (e, i, t,) Per+Sc (b).
– Si la majorité des lettres du document attribué à Mathilde Lefebvre sont écrites en cursive, on note la présence d’incursions de graphies scriptes ou personnelles tout au long du texte (64 lettres minuscules ou majuscules écrites en scripte ou personnelle ou indéchiffrable) soit un total de 40 % des lettres constituant le texte. Il apparaît donc clairement que le texte n’est pas rédigé en écriture cursive exclusive.
– On note que la lettre « R » possède 3 changements de graphie selon la progression du texte.
– Les majuscules présentent cette particularité d’être toutes écrites avec une graphie personnelle à l’auteur. Elles ne correspondent pas aux standards des majuscules cursives ou scriptes.
– L’étude des liaisons entre les lettres d’un même mot montre qu’elles sont difficiles à établir tout au long du texte, que ce soit entre une lettre et celle qui la précède ou entre une lettre et celle qui la suit. Il s’ensuit que les mots qui constituent le texte possèdent énormément d’espaces inter-lettres.
– L’observation de la capacité à établir des liaisons entre les lettres selon leur type de graphie a été particulièrement informatif. Elle montre que la capacité de l’auteur a établir des liaisons est instable. Si l’auteur semble avoir plus de facilité à créer des liaisons entre les lettres cursives (ce qui est logique puisque ce type de graphie est faite pour permettre la création de liaisons), on constate que parfois des liaisons possibles ne sont pas effectuées.
– Nous observons que les lettres ne font qu’augmenter en taille et en amplitude tout au long du texte. On observe des variations de contrôle attentionnel et moteur dès la première ligne de texte (ligne 2) .
Les deux premiers mots « Je jette » (ligne 2), présentent déjà les caractéristiques d’un manque de contrôle de l’écriture cursive puisqu’on note une absence de liaisons entre les lettres, et un mélange d’utilisation de lettres scriptes et cursives. Le troisième mot « cette » est un parfait exemple de contrôle suffisant pour écrire toutes les lettres en cursive et effectuer les liaisons adéquates entre elles. Le contrôle attentionnel et moteur pour écrire ce court mot, semble difficile à maintenir longtemps. Très rapidement, l’auteur « relâche » ce contrôle pour reprendre sa tendance naturelle d’écriture.
Nous pouvons dès lors poser l’hypothèse que les variations de tailles et d’amplitude des lettres constitutives des mots du corps du texte, sont l’expression d’une volonté de l’auteur de maîtriser son geste graphique naturel pour le rendre plus conforme à l’idée qu’il se fait d’une écriture typique de 1912.
– Les chiffres présentent des tentatives de coller à une certaines idées de l’esthétique de l’écriture de 1912. L’auteur recourt à des fioritures d’ordre esthétique qui relèvent de stéréotypes historiques, c’est à dire de ce qu’il croit être une écriture typique de l’époque. Cependant, comme le rappelle l’annexe 04, l’écriture typique d’une enfant de presque 13 ans venant juste de quitter le système scolaire français de 1912, est l’écriture cursive attachée. A l’époque, les personnalisations de l’écriture ne sont pas admises en milieu scolaire et les personnalisations de l’écriture apparaissent plus tardivement, s’ancrant à l’age adulte, selon le niveau de pratique. Il est donc improbable d’avoir un texte avec autant de fioritures écrit par une enfant encore si proche du système scolaire en 1912.
– On remarque que le texte est écrit sur une feuille unie, non quadrillée. Les lignes d’écriture sont toutes droites, on ne note ni tremblement de la main ni déviation des tracés.
L’auteur a fixé un cadre spatial dans lequel le texte est écrit, laissant une marge importante sur la droite, un retour à la ligne étant fait alors qu’un espace d’écriture est encore possible.
On note la présence de marqueurs spatiaux de début et de fin qui délimitent un espace d’écriture du corps du texte. Les majuscules et certaines minuscules sont alignées les unes en dessous des autres pour constituer le marqueur spatial de début du cadre, les boucles finales sur le dernier mot d’une ligne constituent les marqueurs spatiaux de fin du cadre.
Ces observations permettent de mettre en évidence les qualités de contrôle attentionnel, moteur, visuo-spatial et visuo-moteur déployés par l’auteur.
– On note plusieurs bizarreries dans la graphie de certaines lettres majuscules ou minuscules. Il apparaît ici intéressant de proposer une hypothèse interprétative face aux mots sur lesquels ces anomalies sont observées. On remarque ainsi, que le mots « Je », « Liévin » et les deux occurrences « Lefebvre » sont tous des mots liés à l’identité de l’auteur supposé du document. Ces mots sont des marqueurs d’identité à forte résonance psychologique et il n’est pas exclu que les anomalies constatées sur ces mots identitaires constituent des indices de tentatives de la part de l’auteur pour prendre de la distance avec ce qui relève du vol d’identité. En effet, se faire passer pour un autre est une activité très coûteuse en ressources cognitives et émotionnelles. La dissonance cognitive éprouvée par l’auteur peut se traduire au niveau moteur, les fuites comportementales se multipliant et finissant par trahir l’imposture.
– L’analyse des chiffres a montré une nouvelle tendance à la recherche d’une esthétique d’écriture par un jambage démesuré de certains chiffres. Outre ce qui a déjà été dit plus haut sur la réalité historique de ce genre de fioritures à l’époque chez une enfant, on remarque que le chiffre « 9 » est écrit avec une graphie anglo-saxonne. Mathilde Lefebvre ayant été une enfant française, élève à l’école française au moins jusqu’au 10 avril 1912 (date de départ du Titanic), on imagine mal comment une graphie anglo-saxonne pourrait se retrouver dans sa correspondance. On sait par contre, qu’aujourd’hui, cette graphie est tout à fait commune dans de nombreuses écritures d’adultes.
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Conclusion
Toutes ces observations concernant l’étude des lettres du document sont autant d’indices que le texte attribué à Mathilde Lefebvre ne correspond pas aux standards d’écriture en 1912. Il ne correspond pas non plus aux standards et normes d’apprentissage et de pratiques de l’écriture au sein de l’école française en 1912.
Au vu de l’âge de Mathilde Lefebvre le 13 avril 1912 et de sa proximité avec le système scolaire, il est peu probable de retrouver à cette date et à l’âge de cette jeune fille, une écriture si éloignée des normes scolaires et sociales de son époque. Agée de 12 ans et 11 mois le 13 avril 1912, il semble impossible que Mathilde Lefebvre ne puisse pas écrire de façon stable en cursive et établir les liaisons que requiert ce type de graphie alors qu’il s’agit de la norme d’écriture à l’époque, tant au niveau social que scolaire.
De plus, les combinaisons de graphies cursive, scripte et personnelle sont typiques d’une écriture moderne. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir de jeunes adolescents mélanger ces trois types de graphie et cette tendance est encore plus marquée chez les adultes.
L’auteur de la lettre tente de maintenir une écriture en cursive mais, il ne parvient à écrire qu’un seul mot en cursive attachée (« cette » à la ligne 2).
De multiples erreurs parcourent le texte. Erreurs qui sont autant d’indices sur l’origine de cette écriture qui appartient vraisemblablement à un adulte vivant au XXIème siècle.
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Et tant que vous êtes sur le site, n’oubliez pas de télécharger l’analyse consacrée à la fausse lettre du Titanic. Cette analyse est totalement gratuite et ça vous permettra d’avoir accès à l’ensemble du protocole d’expertise.
A tout de suite !
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Dans le prochain épisode, on va continuer et finir l’analyse de la lettre.
On verra ensemble l’analyse des champs lexicaux, c’est à dire l’étude des mots utilisés dans le document.
Je vous retrouve donc jeudi de la semaine prochaine pour poursuivre notre exploration dans le monde de la manipulation écrite et de celles et ceux qui la traquent.
En attendant, je vous remercie d’avoir écouté cet épisode et n’oubliez pas :
« Un grand bobard, commence toujours par une petite histoire. »
L’épisode d’introduction à l’analyse est disponible ici
Le deuxième épisode de l’analyse est disponible ici