Et si les mots pouvaient nous trahir ?

Que nous les utilisions sans y penser ou après une longue réflexion, les mots que nous prononçons ou écrivons ont un sens.

Le tout c’est de comprendre ce sens, surtout lorsque la communication est clairement manipulatoire.

(La transcription de l’audio en texte est disponible plus bas)

🟠 L’épisode :

00:00 ⇒ Introduction de l’épisode

00:39 ⇒ Récapitulatif des résultats déjà trouvés

02:29 ⇒ Analyse des mots

09:28 ⇒ Rejoignez-moi sur la Newsletter du site

10:13 ⇒ Le prochain épisode : Le métier d’expert de documents

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LinkedIn : Coraline Hausenblas

🟠 Je suis Coraline Hausenblas, experte en analyse d’écriture et de documents.
Ancienne psychomotricienne Diplômée d’Etat, mon travail repose sur une approche transdisciplinaire qui mêle psychologie, psychomotricité, linguistique et criminologie.

Je suis membre de l’International Association for Forensic and Legal Linguistics et formée à la psychologie criminelle par le Forensic Criminology Institute de Sitka, USA.

 

🟠 J’ai publié en mars 2022 une analyse d’écriture complète et chiffrée pour prouver que la « lettre du Titanic » est un faux document historique

Vous pouvez télécharger l’analyse scientifique complète

🟠 Transcription de l’épisode :

Récapitulatif des résultats déjà trouvés

On se retrouve aujourd’hui pour le troisième et dernier épisode consacré à l’analyse de la fausse lettre du Titanic.

Après avoir vu la partie analyse des graphies des lettres alphabétiques la semaine dernière, on va continuer à explorer le travail effectué sur les champs lexicaux, c’est à dire les mots utilisés dans le document.

On a vu la semaine dernière, que l’étude des graphies a permis de mettre en évidence que l’écriture du document ne correspond pas aux normes et standards d’écriture scolaire du début du XXème siècle en France.

Cela nous a permis de conclure que la personne qui a écrit la lettre ne maîtrise pas l’écriture cursive attachée stricte ce qui est très étrange pour une enfant de 13 ans qui sortait à peine du système scolaire en 1912.

On a pu établir que le document comportait 3 types de graphies : cursive, script et personnelles ce qui encore une fois, ne colle pas avec les normes sociales et scolaires de l’époque où l’écriture cursive stricte est la norme dans la société et l’école française du début du XXème siècle.

La présence de ces 3 types de graphies est en revanche super commune dès la fin du XXème siècle et à notre époque, ce qui nous permet de conclure que le document est un faux d’origine moderne.

Vous trouverez l’ensemble des données et toutes les annexes sur ces points historiques dans l’analyse complète et gratuite que vous pouvez télécharger sur ce site.

On va s’attacher aujourd’hui à l’analyse du vocabulaire contenu dans la lettre pour voir si cela confirme ou non nos soupçons sur le fait que la lettre est un faux document.

L’analyse des mots

À la lecture du document, on remarque que ce texte court (3 phrases, 31 mots) comporte très peu, sinon aucun, éléments d’informations pouvant être directement liés à Mathilde Lefebvre.

Les seuls éléments liés à cette enfant sont : son prénom, son nom de famille et la référence à la ville où elle vivait avant son départ sur le Titanic.

Le vocabulaire contenu dans le document est essentiellement de trois natures : spatiale, temporelle et identitaire.

La notion temporelle « d’AVANT » nous intéresse particulièrement car si on la retrouve dans le choix de la date (veille du naufrage), on la retrouve également dans le verbe transitif « prévenez » qui contient une notion temporelle bien définie. « Prévenir » c’est agir AVANT que quelque chose ne se passe. Dans le contexte d’écriture supposé du document, ce choix de mot interroge et évoque une connaissance coupable de l’auteur l’amenant à un anachronisme.

Le choix d’un autre mot interroge : « quelqu’un » qui est une formulation impersonnelle. Dans un processus de communication, un émetteur envoie un message à un ou plusieurs récepteurs. Le but d’une lettre est d’être lue, même lorsque celle-ci se retrouve dans une bouteille jetée à la mer où ses chances de survie sont minces. Le choix du terme « quelqu’un » est une mise à distance émotionnelle, l’auteur préférant ce terme vague et impersonnel à une formulation plus directe et plus personnelle avec le lecteur.

On note une autre mise à distance émotionnelle avec le changement d’utilisation des pronoms personnels « Je » (ligne 2) qui devient « Nous » (ligne 3). Le « Nous » devient une référence au collectif sans préciser qui est « nous » : les membres de la famille Lefebvre ? Les passagers dans leur ensemble ? Le texte ne possédant aucune référence au Titanic ni à aucun autre bateau, l’auteur table sur les interprétations du lecteur pour donner un sens au mot « nous ».

C’est là un autre élément marquant du document : le recours systématique aux « mots valises » et aux termes génériques. Un « mot valise » est un mot « fourre-tout » qui semble avoir du sens mais dont le sens est en réalité suffisamment vague pour que chaque lecteur y colle sa propre interprétation. Avec ce type de mots, c’est au lecteur de trouver un sens à ce qui est dit, ce qui va à l’encontre du principe même de communication dans lequel c’est à l’émetteur de s’assurer que son message soit bien compris. Le recours aux « mots-valises » est une stratégie de manipulation de la communication bien connue et dont l’utilisation doit éveiller les soupçons sur les intentions de celui ou celle qui l’utilise.

De façon générale, nous confirmons la conclusion déjà évoqué dans l’analyse des lettres quant aux changements opérés dans le second paragraphe du corps du texte. L’auteur ne parvient plus à contrôler tous les paramètres nécessaires pour continuer à assumer une identité qui n’est pas la sienne : les lettres ont une taille et une amplitude maximale, les mélanges de graphies augmentent, on observe des changements complet de formes de certaines lettres (r, i), les espaces entre les lettres au sein d’un mot se multiplient. L’oubli du point final intervient peut-être dans ce relâchement général du contrôle attentionnel qui entraîne l’augmentation des erreurs et oublis.

Si le premier paragraphe a pour but de situer le contexte d’écriture du document, on ne peut que rester perplexe à la lecture de la dernière phrase du document (lignes 6 et 7). En effet, l’utilisation de l’impératif, l’absence de formule de politesse, la demande de s’adresser à « la famille Lefebvre » donne à la phrase un sentiment d’urgence qui ne colle ni à la date inscrite en en-tête (ligne 1) ni à l’aspect ludique de la démarche.

Pour rappel, le Titanic a coulé au large de Terre-Neuve dans la nuit du 14 au 15 avril 1912 après avoir heurté un iceberg. Le sentiment d’urgence du 13 avril 1912 s’explique probablement par un phénomène de connaissance coupable de l’auteur qui connaît l’histoire du Titanic sait que Mathilde Lefebvre est morte au cours du naufrage.

Sur la base des éléments étudiés, il est bien plus probable que l’auteur du texte tiennent ses informations non pas d’une expérience de vie personnelle mais de sources aujourd’hui bien connues et publiques.

Pour rappel, en 2002, la ville de Liévin a fait poser une plaque commémorative à la mémoire de la famille Lefebvre où les prénoms de Mathilde, de ses frères et sœurs et de sa mère sont mentionnés.

En l’absence de preuves contraires, nous réitérons la conclusion déjà émise suite à l’analyse des lettres, à savoir que les éléments de langage utilisé dans la lettre attribuée à Mathilde Lefebvre sont bien plus proche d’une écriture appartenant à un adulte vivant au XXIème siècle qu’à une enfant de moins de 13 ans ayant vécu en 1912.

Je rajouterai que le fait que le mot « Titanic » ne soit jamais mentionné dans la lettre est un élément intéressant à relever.

Souvent, on a tendance à penser qu’une analyse de texte se limite à dénicher ce qui est écrit.

Mais en fait, ce qui n’est pas dit est tout aussi essentiel !

C’est même souvent dans ce qui n’est pas dit que les éléments manipulatoires sont les plus nombreux.

Ici par exemple, le faussaire a préféré recourir à des éléments indirects pour que les lecteurs déduisent qu’il s’agissait d’une passagère du Titanic.

Et le fait de laisser les lecteurs déduire c’est, comme on l’a vu dans l’analyse, un procédé qui, en soi, doit éveiller les soupçons.

Dans une communication saine, c’est l’émetteur qui s’assure que son message soit bien compris. Ce n’est pas au récepteur de devoir lire entre les lignes, ou trouver le sens de ce qui est dit.

Une petite parenthèse avant de continuer : N’oubliez pas que le meilleur moyen de lutter contre les manipulations, c’est d’apprendre comment elles fonctionnent !

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Dans le prochain épisode, on va parler d’expertise d’écriture.

On va profiter qu’on a décortiquer l’analyse faite sur la fausse lettre du Titanic pour se concentrer sur le métier d’expert de document.

En attendant, je vous remercie d’avoir écouté cet épisode et n’oubliez pas :

« Un grand bobard, commence toujours par une petite histoire. »

L’épisode sur l’introduction de l’analyse est disponible ici

L’épisode sur la première partie d’analyse est disponible ici